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La fontaine de Benniget

Nous voici il y a bien longtemps à SAINT-PABU, petit port Breton à l’embouchure de la rivière Aber Benoît. En face, le grand large avec une multitude de roches, récifs, îles et presqu’îles où s’engouffrent des courants puissants et surprenants.

François, jeune marin pêcheur habite à Kertanguy avec ses parents Françoise et Jean qui, trop vieux, ont décidé depuis déjà un an de lui laisser son petit cotre de sept mètres aussitôt rebaptisé « Marie-Gilette ». Il est mouillé au Passage plutôt qu’au port du Stellac’h situé trop loin au fond de l’aber car la navigation se fait à l’aviron et à la voile. Il faut donc limiter les distances dans la rivière et surtout bien connaître les courants.

Un matin d’avril où la brume est très dense et le vent d’Est léger, François décide d’appareiller avec son matelot Joseph du Ruellou et son mousse Christophe de Kerlagadoc. La marée descendante, les vents et les courants pourront sans effort les faire quitter l’abri de la rivière.

Brummenn vor, Tommder en gor (Brume sur la mer, la chaleur à venir) lance notre bel équipage qui passe la tourelle du chien, contourne le banc de sable de Kervigorn à la pointe de Korn ar Gazel, aperçoit le rocher de la Jument à l’ouest de l’île Garo et s’élance vers le grand large par la passe du sud-ouest.

 

 

Ce jour-là d’autres pêcheurs et amis : Jean-Marie et son bateau « Denise », Louis et sa goélette « Saint-Joseph », décident de faire la même route. Bientôt, après avoir levé ses casiers, toute la flottille se retrouve à pêcher les grands lieus de lignes et si on ne se voit pas dans le brouillard, on peut s’entendre car les bruits portent loin. La pêche est si excellente que l’enthousiasme prend le pas sur la prudence et quand François sent venir le début de la nuit, il est déjà bien tard.

Le vent a complètement disparu, la mer est d’huile mais la dérive a pu être forte.

Joseph et Christophe souquent ferme sur les bois des avirons de nage tandis que François, debout, la barre du gouvernail entre les jambes, souffle dans sa corne de brume et scrute l’invisible. Tous les dix coups d’avirons on s’arrête, on écoute mais rien. En marins aguerris ils décident de poursuivre avec la même cadence mais deux heures plus tard il n’y a toujours que le silence de la nuit. Il faut prendre le temps d’écouter le moindre souffle de vent, un bruit de clapot, le passage d’un oiseau… C’est le calme plat qui dure, qui dure et déjà des prières viennent aux lèvres de nos impétueux marins qui vont devoir rester en éveil, en attente de vent, en espoir de lumière.

Soudain, alors que la nuit vient de poser sa cape noire sur l’épais brouillard, de légers remous approchent du bateau. C’est une houle qui s’élève sur l’arrière et pousse irrésistiblement la coque. Un chemin de lumière s’entrouvre à son passage et bientôt apparaît un grand canal aux rivages de nuages.

Lentement un chant plein de gaieté s’élève autour de nos marins habitués à la rudesse des vagues mais vite endormis par le charme de ces merveilleuses voix. Au loin, l’île de Guenioc se devine. Comme par enchantement de joyeux Korrigans sont sortis de leur cache de pierre. Ces êtres insolites aiment les profondeurs de la terre car le granit Breton leur porte bonheur.

Cette nuit de pleine lune voilée de brume, dix Korrigans chantent en faisant la ronde autour du grand dolmen de l’île. Plus leur chant monte et plus un nuage de lumière vient se poser sur le bord du rivage jusqu’à ce qu’apparaisse une grande dame. C’est Margot de Guenioc, la reine des fées des abers, qui navigue debout dans son navire au couleur de lune attelé à dix petites sirènes.

Lancée par la fée, une gerbe d’écume réveille François qui reste émerveillé devant le spectacle de cette femme de toute beauté.

- Mais qui es-tu donc belle dame ?  lui dit notre jeune marin. 

- Mon ami, me voici réveillée par tes rêves et prières. Les Korigans nous ont lancé un sort,  nous sommes liés à jamais, ma fortune et ma vie sont à toi pour l'éternité.

- Je veux bien de ton or, mais mon cœur appartient à la douce Gilette que je ne saurai décevoir.

- Si tu ne m’épouses pas dis adieu à ton or, à l’éternité et peut-être à la vie.

Après réflexion notre brave pêcheur se met à genoux, ferme les yeux et dit ce proverbe breton :

Bern n’eo ket mammenn (La richesse n’est pas éternelle)
Mat eo bevañ pell (il est bien de vivre longtemps)
Bevañ mat avat zo gwell (il est mieux de bien vivre.)

Voyant que les traits de Margot se durcissent et désirant garder les faveurs de la reine des fées il rajoute très vite mais naïvement :

- Vous êtes magnifique madame et j’aurais beaucoup d’honneur à rester près de vous mais Gilette a les traits plus fins que l’aurore et les yeux plus brillants que des diamants. Elle respire les matins clairs, sourit aux saisons et chante dans le vent. Je ne peux donc que rêver à sa beauté car elle est toute ma vie.

Furieuse, Margot se transforme alors en une énorme tempête et jure dans un grondement de tonnerre que François ne verra plus jamais que la nuit des ténèbres. Une vague immense déferle sur le cotre en réveillant tout l’équipage. La furie des éléments est considérable emportant le bateau  vers les récifs de Menn Reun. Mais nos hommes sont de bons marins et toutes les voiles sont vite montées. La pêche est jetée à l’eau pour s’alléger et deux avirons conservés pour profiter des courants de marée haute vers la voie charretière de Garo. L’abri est de courte durée et François devenu aveugle doit naviguer à l’instinct. Toute la journée avec des vents de face, des vagues immenses et une pluie battante « la Marie-Gilette » tire en vain des bords pour entrer dans l’aber benoit.

De la pointe de Kervigorn dans la furie de la tempête, tous les amis et les familles désespérés mais impuissants viennent  assister au combat titanesque de la coque de noix contre les éléments.

Une petite sirène arrive soudain sur une vague et plus elle s’approche plus elle resplendit. C’est une gentille fée très mécontente de la reine qui a lancé des mauvais sorts à toutes les petites fées des abers. Pour aider nos marins, elle se transforme tantôt en dauphin pour aider aux virements, tantôt en souffle de vent pour les faire avancer et tantôt en étoile pour les diriger. La bataille est si démesurée que le bateau est plusieurs fois tout près de couler. Enfin, appelés en renfort par les doux chants de la bonne fée, plusieurs dizaines de dauphins arrivent et guident fermement « la Marie-Gilette » dans l’Aber Benoît pour l’échouer doucement sur le sable de l’anse de Benniget.

Cette gentille apparition, que seul François peut voir, lui  demande de ne pas la regarder, d’aller en haut de la plage et de creuser dans le sable pour boire l’eau de la source qu’il trouvera. Très vite, François et tous les gens du village s’attèlent à la tâche et sont enfin récompensés par le jet continue d’une eau limpide que tous peuvent goûter. Aussitôt Margot de Guenioc, transformée en éclair, est engloutie par la source. Le vilain charme s’évanouit, la tempête se calme d’un coup, le bateau se regarnit de sa pêche, François retrouve la vue et la bonne fée s’envole dans un nuage de lumière.

Alors, harassés mais heureux, les trois rescapés jurent de boire tous les jours de leur vie au moins une goutte de cette eau et six mois plus tard pour les noces de François et Gilette tout le monde vint se désaltérer à la source du bonheur.

Depuis ce jour l’eau de Benniget coule toujours. Certains disent, qu’en avril un soir de brume, lorsque le chant des Korrigans envahit toutes les dunes, une goutte de cette eau se transforme en belle dame qui pleure, qui pleure ses amours perdus. Pourtant elle disparaît très vite car dans un nuage flotte alors une étoile qui raconte au monde entier comment se débarrasser des vilains charmes de cette méchante fée.
Conte écrit par Jean Luc Saliou